La compagnie Virgin Galactic veut proposer dès 2011 des escapades de quelques minutes en apesanteur dans l’espace suborbital. Trois cents personnes se sont déjà inscrites – dont trois Suisses. Entretien avec son directeur commercial, de passage à l’EPFL, avec qui une collaboration est envisagée
Sentir son corps flotter en apesanteur durant cinq minutes. S’ébahir devant la courbure de la Terre. Et plonger son regard dans le cosmos. C’est ce que proposera, dès 2011, la compagnie Virgin Galactic à ceux qui auront l’estomac bien accroché pour tenter l’aventure. Et d’abord aux 300 téméraires – dont trois Suisses – qui ont déjà réservé leur siège à 200 000 dollars, à bord de l’avion-fusée SpaceShipTwo (SS2).
Cet engin est le «grand frère» de SpaceShipOne (SS1), qui a remporté le X-Prize en 2004. Ce défi consistait à faire grimper un même aéroplane à 100 km – la limite de l’espace – deux fois en 15 jours. SS1 était accroché sous un avion, le WhiteKnight, qui a atteint 15 km d’altitude. Puis, une fois largué, ses moteurs-fusées ont propulsé le pilote d’essai vers les étoiles. SS2 fonctionnera selon le même modèle, mais emmènera six passagers. Entretien avec le directeur commercial de Virgin Galactic, Stephen Attenborough, de passage à l’EPFL.
Le Temps: Quel est votre agenda?
Stephen Attenborough : Le WhiteKnightTwo, l’aile volante qui doit transporter l’avion-fusée jusqu’à 15,5 km d’altitude avant de le larguer, a fait son vol inaugural en décembre 2008, puis un autre début 2009; un troisième est prévu pour ces prochains jours. Pour le reste, vu que nous développons un prototype, nous avons toujours dit, au-delà de l’agenda, que la sécurité devait primer. Nous estimons toutefois que les vols tests dureront au moins deux ans.
– Quels sont les points critiques?
– L’aile-avion s’est comportée comme on l’espérait. Ce n’est pas étonnant, dans la mesure où l’entreprise qui l’a construite, Scaled Composite, a une longue histoire dans la manufacture d’aéroplanes en matériaux composites. Car l’avion est large de 42 m, autant qu’un Boeing 757, mais a été construit en une seule pièce de fibres de carbone. C’est le plus léger dans sa catégorie, mais il peut emmener une charge de 17 tonnes sous son aile. De plus, il sera à même d’effectuer des vols paraboliques simulant brièvement l’apesanteur. Et, comme l’intérieur sera aménagé à l’identique de l’avion-fusée SS2, il servira d’avion d’entraînement pour nos passagers.
– Et, dans SS2, que vont physiquement ressentir ces passagers?
– Après l’allumage des moteurs-fusées, lors de l’ascension, ils subiront 3,8 «g», soit 3,8 fois le poids de leur propre corps, et seront «écrasés» dans leur siège. Et lors de la rentrée dans l’atmosphère: 6 «g». Ils sentiront une surcharge sensorielle, mais nous assurerons que la majorité n’en souffrent pas. Car si l’on veut développer le tourisme spatial, il faut qu’à la fin du vol les passagers y aient non seulement survécu, mais qu’ils l’aient aussi apprécié…
– A quels critères physiques devront-ils satisfaire pour être acceptés?
– Il y a quatre ans, lorsque nous avons lancé notre projet, nous n’avions comme référence que des données provenant de pilotes d’essais ou d’astronautes, soit des gens en parfaite forme physique. Or nos clients seront âgés de 16 à 88 ans… avec un âge moyen de 50 à 60 ans. Pour vérifier leurs aptitudes, nous leur faisons déjà subir des tests dans une centrifugeuse, après des examens cliniques. La personne de 88 ans – le scientifique anglais James Lovelock – a bien supporté l’entraînement. Il a même adoré! Nous avons aussi entraîné des gens qui avaient eu des problèmes de cÅ“ur. Au final, 90 à 95% des candidats pourraient effectuer leur vol.
– Qu’en attendent-ils?
– Pouvoir s’émerveiller devant la beauté et la vulnérabilité de la Terre, dans un silence total – SS2 sera le premier engin spatial dans lequel aucun instrument ne fera de bruit. Et vivre ces instants durant lesquels leur perception change complètement avec l’apesanteur.
– Mais cette séquence ne durera que 5 minutes. Est-ce assez pour expérimenter l’état d’apesanteur ET s’extasier en regardant par les hublots?
– Regardez une montre durant 5 minutes: c’est déjà long! Cela dit, nous pouvons et nous allons à terme augmenter à 6 ou 7 minutes ce temps en apesanteur, en faisant grimper SS2 à 135-140 km.
– En proposant cette expérience, Virgin commercialise ce mythe d’un espace d’ordinaire accessible uniquement à une élite…
– Nous démocratisons ce mythe! L’espèce humaine a franchi ce seuil de l’espace il y a plus de 40 ans déjà. Dans les années 1960, on disait que l’on irait en vacances sur la Lune en 1982. Or, durant les années 1980, moins d’hommes sont allés dans l’espace que 20 ans plus tôt… C’était là la frustration de Richard Branson, patron de Virgin, qui souhaite populariser l’accès à l’espace.
– Tout de même, 200 000 dollars, est-ce un prix démocratique?
– On doit bien poser la limite quelque part… Beaucoup de gens dépensent la même somme pour gravir l’Everest – une autre «expérience d’une vie». Et ceux qui arrivent au sommet n’y restent que deux minutes… De plus, comparé aux 5 ou 6 personnes qui sont allées dans la Station spatiale (ISS) avec les Russes pour 20 millions de dollars, mais qui ont dû s’entraîner pendant 6 mois et apprendre leur langue, c’est raisonnable. Cela dit, ce que les clients souhaitent, c’est l’«avoir fait»: avoir été dans l’espace et donc «être un astronaute». Que l’on s’entende: nous ne proposons pas une expérience d’astronaute professionnel. Mais une excursion touristique durant laquelle on peut vivre les mêmes sensations.
– Malgré les risques inhérents à ce type de première, vous voyez donc dans le tourisme spatial un gros marché commercial potentiel?
– Il y a quatre ans, SS1 était un prototype bricolé de 30 millions de dollars qui a été conçu pour remporter le X-Prize. Là, le projet est d’une autre envergure: on va dépenser 250 millions de dollars, et 120 l’ont déjà été pour le développement et la sécurité. Mais, à terme, pour rendre l’accès à l’espace plus généralisé, on doit montrer que cette entreprise est rentable. Enfin, lorsque des économies d’échelle seront réalisées, nous pourrons réduire le prix du billet jusqu’à 100 000 dollars d’ici à 5 à 10 ans. Enfin l’on pourra imaginer des hôtels dans l’espace. Mais, pour cela, il faudra plus d’investissements que Virgin seule ne peut se permettre.
– Qu’en est-il des questions écologiques liées à ces vols?
– Avec les technologies actuelles, il est impossible d’aller dans l’espace sans «brûler quelque chose». Mais le fait que notre aile porteuse soit très légère, et qu’elle largue l’avion-fusée en haute altitude, là où l’atmosphère est plus ténue, permet de grosses économies. L’empreinte écologique d’un vol sur SS2 correspond à celle d’un trajet à bord d’un Boeing 747 entre Londres et New York. Pour l’heure, 77% en est imputable aux réacteurs de l’aile porteuse. Mais, à l’avenir, en utilisant des biocarburants, cette empreinte pourra être réduite drastiquement.
– Imaginez-vous aussi utiliser ce genre d’engins pour effectuer des vols intercontinentaux?
– La prochaine étape, après les vols suborbitaux, est de pouvoir demeurer en orbite. Ensuite, nos engins pourraient permettre des voyages entre deux sites. Cela mettrait par exemple le Nouveau-Mexique, où se trouve notre port d’attache, à 2 heures de l’Europe. Ce serait quelque chose de fabuleux.