Un centre de recherches «haute sécurité» sur les pathogènes des végétaux a été construit à l’Institut WSL de Birmensdorf, près de Zurich. Son but: trouver des parades aux invasions d’insectes, vers et parasites exogènes qui peuvent s’attaquer aux arbres et arbustes de suisses, et dont l’arrivée risque d’être de plus en plus massive à cause notamment du réchauffement climatique.
Elles ont des noms exotiques: capricorne asiatique, cynips du châtaignier, tordeuse orientale du pêcher, pyrale du buis, punaise diabolique, nématode du pin ou polypore splendide. Mais aucune de ces espèces d’insectes, de vers ou de champignons n’est la bienvenue en Suisse, où certaines tentent déjà de s’établir. Elles n’ont même qu’à bien se tenir, puisqu’a été construite pour elles une sorte de prison, d’où elles n’auront aucune chance de sortir et où, surtout, les scientifiques pourront les étudier. Lundi, en présence du conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann, a été inauguré un laboratoire phytosanitaire à l’Institut de recherches sur la forêt, la neige et les avalanches WSL de Birmensdorf. Un bâtiment de haute sécurité qui répond à l’exigence d’une nouvelle loi, selon laquelle ces agents exogènes ne peuvent désormais être auscultés que sous de strictes conditions. Des centres comme celui-ci, il n’en existe qu’une petite poignée en Europe. Mais la pertinence de leur existence ne fera que croître.
Les cas d’invasion par des espèces nuisibles pour les végétaux indigènes risquent d’être de plus en plus fréquents. Cela à cause de la croissance du commerce international et de la mobilité des personnes – autant de vecteurs pour ces pathogènes. De plus, le réchauffement leur permet de s’installer dans leur région d’accueil. Selon Christoph Hegg, directeur adjoint du WSL, «il y aurait au plus une nouvelle espèce invasive par an en Suisse». Mais avec des impacts variés: perte de biodiversité dans les espèces indigènes, danger pour la santé des arbres, impacts sur les paysages et les zones habitées, voire sur l’écosystème entier, avec des répercussions sur l’économie forestière.
Pour l’heure, on entre encore comme dans un musée dans les pièces du laboratoire où persiste une forte odeur de peinture. «Mais dès le printemps 2015, après des tests d’homologation, seules quatre à six personnes, bien formées, pourront travailler dans les zones les plus sécurisées, dit Christoph Hegg. Tout a été prévu pour que les seuls organismes qui puissent sortir vivants d’ici soient… les humains»: serres de quarantaine pour les végétaux suspectés d’héberger une espèce invasive, sas entre les espaces de travail, eux-mêmes sous pression négative (ce qui empêche l’air de sortir), système de ventilation avec filtres retenant 99,75% des particules, parois de verre incassables, stérilisation des équipements de travail et élimination des déchets par des passages en autoclave (où de la vapeur à plus de 120 °C tue toute vie), douches «pour éliminer toute infime spore de champignon transportée par les laborantins, etc.
Ce nouveau labo sécurisé complète ceux dont la Suisse s’est dotée récemment, destinés à l’étude des pathogènes pour l’homme, à Spiez, et pour les animaux, à Mittelhäusern. «Contrairement au premier, de niveau P4 – le plus haut –, notre centre ne sera que P3, car aucun des organismes qui nous y étudierons n’est dangereux pour l’homme», dit Daniel Rigling, chef du groupe de phytopathologie. Les expériences devront néanmoins recevoir l’aval de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV). Avec un objectif ultime: assister les services phytosanitaires fédéraux et cantonaux pour développer des mesures de confinement, de protection et de lutte contre ces organismes néfastes.
A Birmensdorf, les biologistes pourront mieux étudier ceux qui frappent déjà aux portes des forêts helvétiques, comme le capricorne asiatique, qui a fait parler de lui cet été. L’Anoplophora glabripennis, gros «cafard» noir à pois blancs doté de longues antennes, est l’un des pires ravageurs du monde; il se nourrit du bois tendre des feuillus (érables, peupliers, saules, bouleaux, platanes, etc.). Durant un cycle de vie de deux ans, ses larves les rongent de l’intérieur. Puis les adultes s’en extraient pour aller pondre dans les arbres voisins, les faisant périr en quelques années. Seul moyen de lutte actuel: détecter le lieu de vie de l’intrus et raser tous les troncs de feuillus 100 m à la ronde. C’est cette catastrophe naturelle autant que visuelle qu’ont connue cet été des quartiers de Marly (FR) où le parasite est arrivé d’Asie lové dans du bois d’emballage, et de Winterthour.
«Dans ce cas, l’objectif est d’étudier des contre-mesures pour éviter la prolifération de l’insecte, soit de manière chimique, soit en trouvant son prédateur naturel, qu’on a tendance à aller chercher dans la région d’origine de l’espèce invasive, dit Daniel Rigling. Nos laboratoires serviront à tester l’efficacité de cette parade, et à évaluer les possibles effets secondaires sur la biodiversité locale, avant que cette solution ne soit appliquée dans la nature.»
Si le capricorne asiatique a déjà montré le bout de ses antennes, d’autres menaces laissent un peu plus de répit aux scientifiques. Encore que: «Le nématode du pin, originaire d’Amérique du Nord, a gagné le Portugal en 1999, où il anéantit 50 000 pins par an, puis l’Espagne en 2008, dit l’expert. Il y a très fort à parier qu’il arrivera tôt ou tard en Suisse, où il pourrait faire des ravages en Valais, par exemple.
Quant aux espèces invasives déjà installées, elles pourront être étudiées dans des laboratoires de niveau P2 uniquement, «car le risque de nouveaux impacts les concernant est moindre»; c’est le cas du cynips du châtaignier, une guêpe venue d’Asie, dont l’OFEV a déclassé jeudi dernier la dangerosité.
Par ailleurs, «notre centre ambitionne d’accélérer le diagnostic lors de cas suspects, dit le spécialiste. Ceci à l’aide de méthodes génétiques, et de l’établissement d’une base de données aidant à discriminer, pour une même espèce repérée à deux endroits, s’il s’agit de populations dues à deux invasions différentes». C’est déjà ainsi que les biologistes peuvent affirmer que les capricornes asiatiques observés pour la première fois en Suisse, à Brünisried (FR) en 2011, semblent apparentés à la population de Marly. Enfin, en attendant l’établissement détaillé de ce répertoire génétique, qui nourrira aussi les collaborations avec d’autres pays, les scientifiques envisagent de développer d’une autre manière leurs outils de diagnostic: en entraînant des chiens à renifler la présence dudit cafard – il existe déjà une douzaine de ces fins limiers en Suisse.
Face à de tels fléaux, connus depuis des années pour certains, pourquoi un tel laboratoire, dont le budget de 15 millions de francs est assuré par le WSL, l’OFEV et l’Office fédéral de l’agriculture, n’entre-t-il en service qu’aujourd’hui? «D’abord, certaines possibilités techniques n’existaient pas avant, répond Christoph Hegg. Ensuite, parce qu’il a fallu bien planifier l’opération; nous avons commencé formellement en 2007, mais en réalité bien avant. Et enfin, parce qu’il a fallu convaincre les offices de la nécessité d’un tel centre.» Le directeur adjoint se réjouit-il que les récents massacres d’arbres – et de capricornes – à Marly et Winterthour lui donnent raison? Oui. «Même si, ironiquement, je serais encore plus content si on avait construit ce laboratoire… pour rien.»