Evacuer des ressortissants suisses luttant actuellement contre l’Ebola dans les pays concernés d’Afrique de l’Ouest, mais atteints eux-mêmes, par le virus repose pour l’heure sur le bon vouloir de pays «amis». Alors que deux experts genevois sont partis lundi sur le terrain pour analyser la situation, le DFAE tente diplomatiquement d’établir des accords
Comment ramener en Suisse un membre du personnel soignant, de nationalité helvétique, luttant en Afrique de l’Ouest contre le virus Ebola, si cette personne s’avérait elle-même contaminée? La question n’a pour l’heure pas de réponse claire, la Suisse ne disposant pas des infrastructures logistiques pour organiser un tel rapatriement. C’est notamment pour cette raison que l’Aide humanitaire suisse a activé la Convention qui la lie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) afin de dépêcher en Afrique une mission conjointe. Lundi, Olivier Hagon, chef du groupe spécialisé Médecine du Corps suisse d’aide humanitaire, et Laurent Kaiser, médecin-chef du Service des maladies infectieuses et responsable du Laboratoire de virologie, sont partis au Liberia.
Contacté par Le Temps, ce dernier indique ne pas vouloir répondre aux questions maintenant, afin de se concentrer pleinement sur son travail. Pierre Brennenstuhl, délégué à la sécurité à la direction des HUG, explique toutefois que, «outre l’évaluation des besoins sanitaires sur place, les deux experts auront aussi pour mission d’analyser les possibilités dans le cas où une évacuation médicale d’urgence serait nécessaire. La Suisse n’ayant pas directement cette capacité, elle doit se reposer sur d’autres pays occidentaux alliés; elle cherche actuellement à passer des accords avec eux pour faire ramener un éventuel représentant malade du personnel soignant.»
La Confédération ne dispose en effet pas de son propre avion de transport de troupes ou d’acheminement de moyens d’aide, le parlement ayant refusé une telle acquisition il y a quelques années. «Devant la nécessité d’un rapatriement, la Suisse, comme la plupart des pays européens, serait dépendante de la coopération avec d’autres acteurs sur place, confirme Pierre-Alain Eltschinger, l’un des porte-parole du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Des discussions avec des nations tierces, respectivement avec des sociétés privées, sont en cours. L’un des pays par lesquels un rapatriement de malades est possible est l’Italie.»
Selon une source proche du dossier, des échanges de lettres concernant un engagement clair entre la Suisse et l’Italie auraient eu lieu. Sans toutefois que celles-ci n’apportent une garantie absolue, par exemple dans le cas où un soignant suisse contaminé le serait en même temps que des ressortissants italiens. D’après la NZZ, le DFAE aurait aussi demandé cette même aide à la France. «La Confédération fait de son mieux pour être dans la position la plus idéale devant un éventuel cas», se borne à confirmer Jean-Marc Crevoisier, chef de l’information du DFAE.
Rapatrier une personne contaminée par le virus Ebola s’avère en effet complexe. L’isolement du patient doit être garanti durant toute la durée du transport, et pas uniquement lors du vol en avion-ambulance. Car des événements imprévus ou des complications médicales peuvent survenir. Par ailleurs, la santé de l’équipage et celle du personnel soignant doivent être absolument préservées. Si bien que seules quelques nations disposent d’aéroplanes pouvant être équipés des infrastructures médicales indispensables. En parallèle, un infime nombre de sociétés médicales privées offre ces mêmes services.
Ainsi, si un infirmier volontaire britannique en poste en Sierra Leone a pu être acheminé dans un hôpital londonien pour y guérir tout récemment, et si le missionnaire espagnol de 75 ans qui avait contracté le virus au Liberia a pu être rapatrié à l’aide d’un Airbus A310 médicalisé – il est décédé depuis –, les deux ressortissants américains tombés malades au Liberia ont rejoint les Etats-Unis début août à bord d’un des deux avions-ambulances de la compagnie spécialisée privée Phoenix Air. Des business-jets de type Gulfstream III transformés en hôpital volant avec notamment une bulle d’isolement en plastique dans laquelle est confiné le patient. «Devant la complexité de la tâche, les cas de rapatriement restent donc rares», indique François Chappuis, chef de service de la médecine tropicale et humanitaire aux HUG. Dans l’établissement genevois, si l’on est entièrement prêt à soigner un malade d’Ebola, seuls un ou deux patients de ce type peuvent d’ailleurs être accueillis dans les dispositifs d’isolement nécessaires.
En Suisse, «la Rega, pour laquelle le transport de patients infectieux est l’une des tâches essentielles, n’est pour l’instant pas dans la possibilité d’assurer le rapatriement d’une personne atteinte par Ebola en évitant tous les risques auxquels cette maladie expose l’ensemble des intervenants, dit son porte-parole Olivier Rappaz. Cependant, nos médecins travaillent sur des solutions – c’est un objectif prioritaire: ils étudient la possibilité de définir une zone d’isolement dans ses avions-ambulances.»
Cette impossibilité actuelle de la Suisse de rapatrier ses ressortissants en cas de contamination par Ebola a-t-elle une influence sur la décision des ONG actives dans l’aide sanitaire, voire des agences gouvernementales elles-mêmes, de dépêcher des collaborateurs dans les régions concernées? «Dans chaque mission humanitaire, on sait qu’il y a des risques, répond Marie Wittwer, responsable des ressources humaines de Médecins du monde Suisse. Toutefois, notre association n’intervenant pas de façon directe dans ce contexte d’urgence particulier, la question se pose différemment pour nous. Cela dit, ce facteur serait pris en compte dans la décision d’envoyer ou non notre personnel soignant dans les régions concernées.»
Du côté de MSF, qui a expédié un peu moins de 200 de ses collaborateurs internationaux dans les régions concernées, on indique uniquement, dans un courriel du porte-parole Lukas Nef, qu’«il est trop difficile de faire des hypothèses dans un interview. Notre priorité principale est de sauver les vies des gens touchés aujourd’hui dans ces pays. Nous aviserons au cas par cas si un membre de notre équipe est infecté, si nous devons le rapatrier et où il peut obtenir les meilleurs soins.» Ce qui ne signifie pas que l’ONG minimise la question: «L’évacuation médicale de collaborateurs internationaux sera de plus en plus difficile», a indiqué la semaine dernière à la NZZ Thomas Nierle, président de MSF Suisse, si bien que, toujours selon le quotidien alémanique, l’ONG accentue ses sollicitations à Berne pour encourager le DFAE à trouver une solution à ce problème.
Dernières nouvelles de la situation: huit traitements et deux vaccins en discussion
> Une réunion sur les traitements expérimentauxcontre la fièvre Ebola a commencé jeudi à Genève. 200 experts, parmi lesquels plusieurs Suisses (Matthias Egger de l’Université de Berne, Angela Huttner et Manuel Schibler des Hôpitaux universitaires de Genève, Daniel Koch de l’Office fédéral de la santé publique et Jürg Seiler, toxicologiste), y discuteront jusqu’à ce soir de l’état d’avancement des recherches et de recommandations éthiques. Une liste de huit traitements expérimentaux et deux vaccins à développer leur a été soumise. «Aucun n’a été cliniquement prouvé», a indiqué l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans un document de travail. Ils ne seront pas disponibles avant fin 2014. «D’ici là, seules de petites quantités seront disponibles», a indiqué l’OMS, soulignant que le développement et l’évaluation clinique de ces traitements prendraient «jusqu’à dix ans dans des circonstances normales».
> Le dernier bilande l’OMS de l’épidémie d’Ebola qui touche l’Afrique de l’Ouest se monte à 1841 morts sur 3685 cas confirmés. Ce dernier chiffre marque une forte accélération de la mortalité puisqu’il y avait la semaine dernière 1 552 cas sur 3 069 cas. Margaret Chan, directrice de l’OMS, a dit espérer que la transmission d’Ebola pourrait être arrêtée dans les six à neuf mois, grâce à la réponse internationale, citant la feuille de route dévoilée la semaine dernière.
L’Union africaine (UA) va se réunir d’urgence lundi à Addis-Abeba pour définir une stratégie à l’échelle du continent. Selon le conseil exécutif de l’UA, cette séance examinera les mesures de suspension des vols et fermeture de ports et frontières et la «stigmatisation des pays touchés et de leurs ressortissants». Les pays les plus touchés sont le Liberia, la Sierra Leone et la Guinée. Le Nigeria est affecté dans une moindre mesure et un premier cas a été recensé au Sénégal. Agences