Divers systèmes servant à prévoir les méfaits dans un avenir proche sont développés à travers le monde, qui aideraient à faire baisser la criminalité. A Zurich, l’un a été testé et acquis par la Ville, qui affirme ainsi avoir fait grandement baisser son taux de délits. Mais le même système, nommé Precobs, a été évalué puis délaissé par la police cantonale. Les experts en sciences criminelles sont mitigés
Prédire quelle infraction se déroulera à quel endroit d’une ville: une capacité dont rêvent tous les services de police. Ceux de la ville de Zurich, entre autres, disposent depuis un an d’un outil qui s’en approche, un logiciel nommé Precobs (pour Pre Crime Observation System). Grâce à lui, la criminalité aurait baissé de 30% dans les quartiers passés au crible, selon les résultats annoncés lundi. Or, pour les experts en sciences criminelles, cet instrument n’est pas (encore) la panacée, tant il manque d’une validation sérieuse.
Vu son nom, Precobs se rapproche des «Precogs», ces êtres du film Minority Report qui ont des visions des délits à venir; les inventeurs de ce système, à l’Institut de technique de prévision par modélisation allemand d’Oberhausen, avouent s’en être inspirés. Mais le produit qu’ils proposent n’a, lui, rien de la science-fiction.
Dans ce système informatique sont introduites diverses données: type d’infraction, lieu, date, but du délit, moyens utilisés. Des informations recueillies durant cinq ans au moins – ce qui nécessite une base de données bien organisée. Sont alors appliqués des algorithmes statistiques qui indiquent à la police la probabilité que des méfaits surviennent dans un rayon de quelque 250 m autour d’une cible, et dans un intervalle de temps de un à sept jours.
L’un des principes de base soutenant ces algorithmes est celui dit «near repeat» (ou «répétition proche»). «Dès les années 1980, des recherches statistiques en géographie ont montré qu’il y a de grandes chances qu’un autre délit ait lieu peu après non loin d’un précédent forfait», explique Martin Killias, criminologue à l’Université de Zurich. Porte-parole de la police de la même ville, Marco Cortesi explique à la SRF que, comme le champignonneur repère les meilleurs coins pour sa cueillette, et y revient régulièrement, les cambrioleurs connaissent bien les quartiers urbains dans lesquels ils agissent, les ruelles permettant de fuir, les postes de police, etc. Changer d’endroit leur impose de se refamiliariser avec les lieux, ce qui a un coût.
«L’idée est de faire chercher au système, dans les données, des modèles spécifiques de suites d’événements s’étant déroulés dans le passé pour prédire, en fonction du dernier crime en date, ce qui va se passer», poursuit Michael Schweer, inventeur de Precobs. Et d’ajouter que les algorithmes sont affinés avec des inputs de diverses sciences: topographie urbaine, type de comportement psychologique des criminels, etc.
Auprès de divers services de police, à Genève notamment, on indique que cela fait des années que l’on tente de prévoir les forfaits à venir en recoupant divers paramètres à partir d’une base de données des méfaits. «On le fait chaque semaine, à la «manière humaine», avec satisfaction», dit Jean-Philippe Brandt, porte-parole. «L’avantage de notre système est d’accomplir rapidement des analyses de données qu’aucun humain ne peut faire dans un temps approprié», rétorque Michael Schweer. Et d’insister, pour annihiler l’idée qu’une psychose de la surveillance puisse s’installer dans la population, sur le fait qu’aucune donnée personnelle n’est utilisée. Pas plus que des informations issues d’autres sources que les registres de police, tels les réseaux sociaux.
D’autres systèmes similaires ont été développés, aux Etats-Unis et en Angleterre notamment, leur efficacité est louée. Dans plusieurs villes d’Allemagne aussi, on s’intéresse à Precobs. De même, en Suisse, qu’à Bâle-Campagne ou en Argovie, où le système est testé. Un essor devant lequel Martin Killias reste sceptique, qui souligne l’aspect commercial de ces produits vendus pour des dizaines de milliers de francs. «Le problème est qu’aucune bonne méta-analyse de validation de ces systèmes n’a été menée, cela notamment parce que les services de police sont peu ouverts aux évaluations de leur fonctionnement», dit celui qui est aussi coprésident du Campbell Crime&Justice Group, un réseau de chercheurs produisant des rapports sur les outils d’intervention des polices. «Notre meilleure validation consiste, pour une ville donnée, à vérifier l’acuité des pronostics de notre système avec ce qui se passe réellement, dit Michael Schweer. Et, lorsqu’on l’applique ou non dans divers quartiers d’une ville, on voit la différence.»
Selon les experts, il reste difficile de quantifier précisément la baisse de criminalité due à de tels systèmes dans une tendance générale, comme en Suisse en 2014, ce qu’admet Michael Schweer. Pour Olivier Ribaux, professeur en sciences criminelles à l’Université de Lausanne, «ces outils reposent sur un fond de vérité en termes de méthodologie. Toutefois, seuls, ils sont insuffisants car ils s’inscrivent dans un tout menant à l’efficacité des politiques anti-criminalité, qui comprend aussi les mesures choisies en fonction des indications fournies par le système (policiers en civil engagés, augmentation des patrouilles, action de prévention aux portes, etc.). Il est faux de croire que l’on dispose là d’une technologie «presse-bouton» pour stopper la criminalité. Or c’est le message caricatural qui est parfois transmis.»
Michael Schweer en est sûr: «D’ici à dix ans, ces technologies prédictives seront incontournables dans toutes les polices d’Europe.» Toutes ne sont pas convaincues. Après l’avoir essayé, certaines ont renoncé à acquérir le système, comme la police cantonale zurichoise: «Il ne correspondait pas à nos besoins, à notre vaste territoire, aux types de délit variés que nous traitons», dit son porte-parole, Beat Jost.