Les débris spatiaux, dont le nombre croît, sont un vrai problème pour les satellites et les vaisseaux habités. L’EPFL va construire le premier «vaisseau nettoyeur» à lancer en orbite
Victor Hugo l’appelait «l’océan d’en haut.» Comme les mers, qui souffrent de la pollution, l’espace devient un vaste dépotoir… à ciel ouvert. Des milliers de débris rendent périlleuse toute visite en orbite et menacent les satellites. «L’impression de pureté de l’espace est trompeuse», dit Claude Nicollier, qui est allé vérifier sur place. Est-ce parce que la Suisse est associée à une tradition de propreté? Le Space Center de l’EPFL a présenté mercredi ce qui pourrait devenir le premier «engin nettoyeur de l’espace». «Il est temps d’agir, dit l’astronaute. Jusque-là, nous avons eu de la chance, il n’y a pas eu de graves collisions.»
Le problème n’est pas nouveau. Depuis le Spoutnik en 1957, 4700 lancements ont eu lieu, plaçant en orbite 6000 satellites. Or seuls 800 sont encore opérationnels! Et 200 explosions ont eu lieu en orbite, la dernière importante en 2007 lorsque la Chine a détruit l’un de ses satellites avec un missile. Tout cela sans compter divers objets de toutes sortes, des pans entiers d’engins spatiaux ou de panneaux solaires abandonnés jusqu’aux éclats de peinture ou déchets de carburants. Bref, un spectre très large de déchets qui tournent autour de la Terre.
Il y aurait ainsi en orbite terrestre entre 13ā€000 et 19ā€000 objets de plus de 10 cm de diamètre, les plus dangereux, qui sont répertoriés et suivis. Et entre 200ā€000 et un demi-million dont la taille varie entre 1 et 10 cm, sans compter des dizaines de millions de débris encore plus petits.
Cette pollution se loge à diverses altitudes. Les objets situés à quelques centaines de kilomètres de la Terre ont de fortes chances d’y retomber d’ici peu, freinés qu’ils sont par les ultimes couches de l’atmosphère. «Mais c’est entre 700 et 900 km que leur nombre est maximal», précise Claude Nicollier. Le reste se trouve sur l’orbite géostationnaire, à 36ā€000 km, où volent les satellites de télécommunication. Or «au-delà de 1000 km, les durées de stabilité des satellites – et des débris – se comptent en millénaires», dit Fernand Alby, spécialiste au Centre national français d’études spatiales (CNES).
Ces débris causent différents soucis. Ceux situés en orbite basse peuvent retomber sur Terre, n’importe où. Depuis le début de l’ère spatiale, 25ā€000 objets sont rentrés dans l’atmosphère, soit 1,4 par jour en moyenne. Cette gangue de pollution spatiale peut aussi perturber les observations astronomiques. Mais c’est surtout dans l’espace que les menaces sont les plus graves.
Même les débris les plus petits peuvent y causer de gros dégâts, cela à cause de leur vitesse phénoménale pouvant atteindre 28ā€000 km/h. Un morceau d’aluminium de 1 millimètre possède ainsi la même énergie qu’une boule de pétanque lancée à 100 km/h. Un satellite qui passe par là peut être réduit en miettes. Autre exemple concret: lors de chaque retour de la navette spatiale, un hublot devait être changé à la suite d’un impact avec un débris.
Les accidents les plus critiques pourraient toutefois survenir sur la Station spatiale internationale (ISS). Celle-ci est protégée avec des parois multicouches contre les débris mesurant au plus 2 cm. Or, lorsque menace une pièce plus importante, soit 4 à 5 fois par an, les occupants doivent parfois se réfugier dans un module d’évacuation. La dernière grosse alerte a eu lieu en juin 2011: selon la NASA, un «objet inconnu» est passé à 250 m seulement de l’ISS.
Pire, la tendance n’est pas près de s’inverser. Chaque année ont lieu de 60 à 100 lancements. «On ne sait pas vraiment lancer un satellite sans laisser en orbite l’étage de la fusée qui l’y a placé», dit Fernand Alby. Tous les observateurs parlent ainsi de croissance exponentielle du nombre de débris.
En septembre 2011, le National Research Council américain a publié un rapport indiquant que le «point critique» approcherait. «Nous craignons un effet de cascade», dit Muriel Richard, responsable du projet de l’EPFL. Autrement dit, que la collision entre deux gros débris génère un flot de déchets, qui augmenteraient à leur tour la probabilité de causer d’autres télescopages. Pour preuve, la collision en 2009 de deux satellites (l’un américain, de télécommunications, et l’autre russe, désaffecté) a généré des milliers de nouveaux déchets.
Que faire pour contrer ce problème? D’abord, optimiser le suivi, depuis le sol, avec radars et télescopes. Les Etats-Unis, la Russie et plusieurs pays européens possèdent leur propre système de veille. Or «ces systèmes sont militaires, dit Fernand Alby. Et les catalogues de débris que leurs responsables diffusent ne sont qu’un sous-produit incomplet de leur surveillance…» D’aucuns plaident donc pour mettre sur pied des systèmes de veille civils.
L’Agence spatiale européenne (ESA) suit un programme nommé SSA, «d’un coût de 1 milliard d’euros, dit son responsable Nicolas Bobrinsky. La phase de développement avance bien.» Le plan? «Réunir les infrastructures existant en Europe, puis les compléter au besoin. Vous avez en Suisse, à Zimmerwald, deux télescopes qui participeront.» La phase opérationnelle du SSA, par contre, s’avérera plus complexe à mettre en Å“uvre, à cause précisément des réticences des militaires à voir dévoilées des données «secret défense» (lire ci-dessous).
En parallèle, des scientifiques de l’Agence spatiale allemande DLR développent un système de balayage du ciel avec un puissant laser, dont les rayons détecteraient des objets centimétriques. Ils l’ont testé avec succès en janvier. «Les résultats montrent que notre idée fonctionne», dit Adolf Giesen, visant 2014 pour avoir achevé ce système. Qui pourrait ensuite servir à vaporiser directement les petits déchets.
Autre option: nettoyer l’espace. «Il suffirait d’enlever 5 à 10 gros débris par an pour stabiliser leur population», dit Fernand Alby. Toutes les agences réfléchissent à des plans. L’ESA a inclus un volet Clean Space dans son agenda des priorités d’ici à 2015. «Plusieurs options existent, détaille sa responsable, Luisa Innocenti. La première consiste à augmenter la surface du débris, afin de le freiner et ainsi de le faire replonger sur Terre.» Comment? «A l’aide d’une voile solaire ou d’une structure gonflable qu’un engin viendrait accrocher sur l’objet en perdition.»
Divers concepts visent à utiliser des câbles. Un engin remorqueur viendrait accrocher un long filin au débris en se plaçant au-dessus de lui. Après stabilisation du couple, le câble est lâché: les lois de la physique veulent que le débris perde de l’altitude tandis que le remorqueur en gagnera, pouvant alors s’attaquer à un autre déchet. Autre invention: fixer au déchet un câble parcouru d’un courant électrique. En traversant le champ magnétique terrestre, ce dispositif imprime à l’ensemble des forces de freinage (de Laplace), avec pour effet de le désorbiter.
«Une vision plus simple consiste à aller faire la pêche aux déchets, dit Luisa Innocenti. Avec des engins équipés de filets, voire de pinces, puis de faire plonger ce «vaisseau-poubelle». Mais cette technologie reste à développer.» C’est justement ce que vise le projet de l’EPFL.
Selon Fernand Alby, ces initiatives sont louables – le CNES y réfléchit aussi. «Mais elles devront aussi être évaluées à l’aune de leur coût.» Envoyer un engin spatial éboueur vers un seul déchet risque en effet de ne pas être rentable. Autre écueil: selon les lois internationales, chaque pays ne peut s’attaquer qu’aux déchets qu’il a lui même produits, ce qui risque de limiter les efforts totaux.
En attendant, les scientifiques s’attachent à évaluer au mieux le risque de vulnérabilité pour chaque satellite. Un programme européen, baptisé «p2rotect» vient d’être lancé. «Ce risque est faible, de l’ordre de 1 sur 10ā€000 par an, avise Fernand Alby. Mais si l’on prend en compte tous les déchets spatiaux, cela représente une collision tous les cinq ans entre deux objets catalogués. Ce n’est pas encore catastrophique. Mais le problème s’amplifiera.»
Pour le minimiser, les spécialistes misent sur la prévention. Voilà 15 ans qu’un groupe réunissant les onze agences spatiales majeures, l’IADC, produit des recommandations visant à réduire la prolifération des déchets. «Une idée serait de ne construire que des satellites qui possèdent un système de désorbitage, et d’inclure celui-ci dès le début du design de l’objet, ce qui manque actuellement», dit Luisa Innocenti. Autre conseil: tout faire pour que les réservoirs des satellites puissent être vidangés, évitant ainsi tout risque d’explosion. Une règle peu suivie, car elle engendre souvent des surcoûts de conception.
D’ici à ce que tous ces projets aboutissent, diverses nations, les Etats-Unis et l’UE en tête, ont décidé de s’unir afin d’élaborer un code international pour un usage responsable de l’espace. «Si la communauté internationale ne fait pas face à ces défis, l’environnement autour de la Terre deviendra de plus en plus dangereux pour l’exploration humaine et les satellites, ce qui pourrait avoir des conséquences néfastes pour tous», a déclaré le 17 janvier Hillary Clinton, secrétaire d’Etat américaine. Une version de travail du futur traité avait d’abord été refusée par le Pentagone, avant d’être acceptée. A la condition de ne créer aucune contrainte aux activités liées à la sécurité américaine dans l’espace.