L’hydroxychloroquine : c’était le prétendu médicament miracle au début de la pandémie de COVID-19. Mais l’étude phare de son promoteur, le chercheur marseillais Didier Raoult, vient d’être formellement retirée de la littérature scientifique. Une rétraction qui, en filigrane, raconte la manière dont la science se construit
Mars 2020. L’épidémie de COVID éclate. Les hôpitaux se remplissent. Pourtant, à l’Université d’Aix-Marseille, un infectiologue aux allures de druide brandit déjà, dans un vidéo sur Youtube, un remède miracle, utilisée d’habitude contre la malaria: l’hydroxychloroquine.
Didier Raoult se fait alors connaître mondialement. Mais cette semaine, son étude phare vient d’être formellement rétractée. Un acte fort dans le monde de la recherche, comme l’explique Denis Duboule, professeur de génétique honoraire à l’EPFL et à l’Université de Genève, actuellement au Collège de France, qui a œuvré comme éditeur pour plusieurs revues scientifiques, dont la prestigieuse « Science »: « Un retrait d’une étude scientifique, ça veut dire que cette étude n’est plus considérée comme valide. Les résultats sont ignorés! »
Affaire pas anodine
L’affaire n’est pas anodine. Car dès le début de la pandémie, l’annonce d’un médicament anti-COVID suscite beaucoup d’espoirs, et une effervescence mondiale, jusque chez les décideurs. Le président américain d’alors, Donald Trump, dit en prendre. Emmanuel Macron se rend à Marseille pour rencontrer le professeur Raoult. Et partout dans le monde, on fait la queue pour bénéficier de ce traitement.
Mais très tôt aussi, des critiques émergent contre l’étude en question: validation bâclée de l’étude par ses réviseurs, trop faible nombre de patients impliqués, les plus malades étant même exclus pour arranger les chiffres. Aujourd’hui, en plus de l’inefficacité avérée du traitement, des griefs éthiques apparaissent, suite à une longue enquête de la société Elsevier, qui édite la revue dans laquelle a été publiée l’étude Raoult: le consentement des patients a semble-t-il été négligé. Conséquence immédiate: cette étude, l’une des études les plus citées en infectiologie, d’un chercheur désormais retraité, est formellement retirée.
Quatre ans: un temps court et long à la fois
Ce retrait arrive toutefois après 4 ans seulement, un temps long que critique certains. « Quatre ans c’est long du point de vue des patients, puisque si certains patients ont continué à prendre ces traitements, cela a pu leur nuire, admet d’abord Denis Duboule. Quatre ans c’est aussi long parce que les moyens qui ont été mis dans ces traitements auraient pu être mis ailleurs, dans l’étude d’autres traitements plus avantageux. Mais par contre, poursuit le professeur genevois, d’un point de vue strictement scientifique, quatre ans, ce n’est pas si long que ça pour pouvoir démontrer qu’une étude est fausse.
La connaissance prend le dessus
Selon lui, cette histoire dit beaucoup sur le monde la recherche scientifique: « Cela dit que la science est quelque chose qui se construit, pas à pas, qui s’autocorrige constamment. Et là, on en a vraiment une belle démonstration. Même quand la science déborde de son cadre, et arrive dans le cadre politique, ou même un cadre complotiste, on voit que finalement, c’est toutefois la connaissance scientifique qui prend le dessus. »
Ou comment, au final, se forge le savoir commun.