Des chercheurs de l’Université de Genève parviennent à générer des gouttelettes d’eau avec un puissant rayon laser «simplement» dirigé vers le ciel. De quoi un jour faire pleuvoir à souhait?
C’est une histoire digne de SOS Météores, l’épisode de BD dans lequel les héros Blake et Mortimer déjouent les plans du savant fou Miloch qui peut littéralement faire la pluie et le beau temps en Europe: des physiciens de l’Université de Genève ont réussi à fabriquer des nuages en pointant vers le ciel un laser surpuissant. Pas encore, cependant, de quoi faire pleuvoir à souhait. «Mais on ne peut pas exclure que cela soit possible un jour», explique Jean-Pierre Wolf, dont le groupe publie ce mercredi ses résultats dans la revue Nature Communications.
Contrôler la météo: l’idée n’est pas neuve. Les premières expériences d’«ensemencement» des nuages datent des années 1940. La technique consiste à déverser, avec un avion ou une fusée, des particules (iodure d’argent) dans une atmosphère saturée en humidité; pour que des gouttelettes se créent, il faut que les molécules d’eau en suspension puissent se condenser autour d’un noyau.Outre son efficacité controversée, l’inconvénient de la méthode est qu’injecter ces micropoudres dans les nuages n’est pas respectueux de l’environnement.
Pour expliquer la formation naturelle des nuages, une hypothèse veut par ailleurs qu’une partie de ces germes de condensation soit créée dans l’atmosphère par l’arrivée sur Terre de rayons cosmiques, des particules chargées provenant de l’espace lointain (LT du 25.08.2011). «Nous nous sommes dit qu’un rayon laser pourrait avoir le même effet», avise Jean-Pierre Wolf. Le professeur et son équipe mettent l’idée à l’épreuve, d’abord dans leur laboratoire: une chambre métallique, refroidie à – 24°C et sursaturée (230%) en humidité est soumise à de courtes impulsions d’un puissant laser de l’ordre du millier de milliards de watts (térawatt). «Cela correspond à la puissance instantanée de toutes les centrales nucléaires de notre planète!» Et? Après l’enclenchement du rayon se forment effectivement sur son passage des gouttelettes d’un diamètre de 50 puis 80 micromètres. Ces résultats, publiés en mai 2010 dans Nature Photonics, font le tour du monde. Mais d’aucuns les critiquent en disant que les obtenir en laboratoire est une chose, les reproduire dans la nature une autre, plus ardue…
Dans la foulée, les chercheurs testent alors leur laser baptisé Téramobile dans les cieux de Berlin. Et ils observent à nouveau de loin, grâce à un LIDAR, la formation de nuages, sans pouvoir toutefois en caractériser le contenu. C’est ce qu’ils viennent de faire au bord du Rhône, durant six mois. Mieux, dans l’article publié aujourd’hui, ils décrivent les mécanismes probables de cette méthode à «fabriquer les nuages».
«Le plus étonnant est que nous obtenons des gouttelettes même si l’air ne contient que 70% d’humidité, alors qu’il en faut normalement 100%», souligne Jean-Pierre Wolf. Comment? «Les noyaux de condensation sont générés lorsque le laser traverse l’air, qui contient de l’azote (N), de l’oxygène (O2) et de l’eau (H20). Se forment alors des molécules d’acide nitrique (HNO3), autour desquelles s’accumule l’eau. Et le taux de fabrication est énorme: une molécule sur 10 000 de l’air (qui en contient 25 milliards de milliards par cm3) devient un germe.»
Certains chercheurs restent dubitatifs: «Il faut faire une différence entre des particules hygroscopiques qui absorbent l’eau et grossissent jusqu’à une taille de quelques micromètres seulement dans une humidité très faible, et des gouttes qui croissent assez au point de pouvoir tomber, remarque Daniel Rosenfeld, scientifique de l’atmosphère à l’Université hébraïque de Jérusalem. Le laser crée les premières. Cette méthode n’a aucune signification pour engendrer des précipitations, sauf si les aérosols qu’elle génère sont injectés dans des nuages en train de se développer normalement.» Les particules observées «sont nettement trop petites pour former des gouttes, confirme Jérôme Kasparian, coauteur de l’étude. Leur évolution ultérieure reste à comprendre. Elle dépend de celle de la masse d’air. Ces particules peuvent grossir si l’humidité augmente, ce qui se produit si la masse d’air se refroidit en s’élevant sur une montagne. La présence de particules préexistantes peut accélérer ou permettre la formation d’un nuage là où il ne s’en serait pas formé, faute de noyaux de condensation.»
Selon Jeffrey Pierce, professeur de sciences de l’atmosphère à l’Université Dalhousie à Halifax (Canada), «ces résultats sont intéressants. Mais les nuages ainsi créés pourraient induire des pluies acides, vu la contenance de leurs gouttes en acide nitrique…» Jérôme Kasparian de rétorquer: «Pour devenir de la pluie, les particules doivent beaucoup grossir, d’un facteur 1000 à un million en volume. L’acide sera donc largement dilué, rendant l’acidité des précipitations négligeable.»
Comme d’autres, Jeffrey Pierce pense toutefois qu’«une application pratique n’est pas envisageable dans l’immédiat, car il reste beaucoup à comprendre sur la formation des nuages». «C’est vrai, reconnaît Jean-Pierre Wolf. Mais qui pouvait imaginer l’iPod lorsque le premier transistor a été fabriqué? De même, il se peut que des développements dans la technologie des lasers puissent optimiser les mécanismes en jeu, qui ne sont pas possibles avec la photochimie naturelle.»
Le professeur voit aussi une autre application à ses travaux: «Au lieu de faire pleuvoir, on pourrait tenter de différer le début des précipitations. Dans certains cas, en créant davantage de noyaux de condensation avec le laser, on réduit le nombre de molécules d’eau qui peuvent s’agglutiner autour de chacun d’eux. Dans les zones arides, cela pourrait servir à retenir un nuage qui s’apprêterait à se muer en pluie, mais qui se trouverait encore au large d’une côte, sur la mer.»
Quant à l’idée prophétique, chère à Miloch, de «modifier le temps», le physicien vit bien avec: «L’homme modifie le climat depuis 50 à 100 ans, de manière incontrôlée mais efficace… Aujourd’hui, personne ne sait si on peut revenir en arrière. Il n’est donc pas idiot de réfléchir à des outils – ce qu’on appelle la géoingénierie – pour rétroagir sur les dégâts commis. Mais aussi d’en évaluer les coûts: avoir besoin d’une centrale nucléaire pour alimenter le laser afin de produire quelques gouttes n’aurait pas de sens…»