Trois organisations de patients demandent, par l’entremise d’une motion parlementaire, qu’une meilleure gouvernance des collections d’échantillons soit établie par une loi fédérale. Une mesure qui risque de freiner la recherche, disent certains
Des biobanques sans foi ni loi? Sans aller jusque-là, Rebecca Ruiz souligne qu’«il n’y a, en Suisse, pas de standards minimaux légaux pour la gouvernance des collections d’échantillons biologiques» (sang, urine, tissus, etc.). C’est pourquoi la conseillère nationale (PS/VD) a déposé ce 17 mars une motion demandant une loi idoine. Un acte qui survient dans un contexte tendu, les organisations de patients ne s’estimant pas assez écoutées dans ce domaine médical décrit comme révolutionnaire, tant il promet une personnalisation extrême des soins.
Cette démarche donne suite à une séance de discussion ayant eu lieu à l’automne 2016, organisée par l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) et Swissethics, l’organe faîtier des commissions d’éthique. Ces deux entités sont chargées de mettre au point un formulaire unique pour toute la Suisse décrivant les conditions pour que les patients consentent à livrer leurs données biologiques; actuellement, chaque canton, voire chaque hôpital, a le sien, ce qui complexifie l’utilisation croisée de toutes les informations récoltées. Invitées, les associations de patients disent avoir eu l’impression d’y servir d’alibi: «Les patients n’ont pas été impliqués dans [les réflexions initiales autour de] ce formulaire de consentement, dit Franziska Sprecher. Ils ont été convoqués sur la fin, pour le valider.» Et cette professeure de droit à l’Université de Berne, membre de l’Organisation suisse des patients, d’expliquer que «ce formulaire promet des choses que le droit ne garantit pas». Par exemple? «La sécurité des données biologiques personnelles n’est légalement pas assurée.»
Formulaire en consultation
Autres points discutables, selon Joy Demeulemeester, de la Fédération romande des consommateurs (FRC), qui soutient aussi la motion: «Le devoir d’informer sur l’utilisation de ces données n’est pas établi: comme patiente, je souhaite savoir si mes échantillons seront mis à la disposition d’entités suisses, comme Novartis, voire étrangères.» Par ailleurs, poursuit Franziska Sprecher, «dans le document, on part du principe que dès qu’un patient a livré ses données, il n’a plus d’influence sur elles. Or il existe d’autres modèles.» «L’établissement de ce formulaire de consentement général a peut-être été trop vite réduit à une question purement technique», analyse Dominique Sprumont, professeur de droit de la santé à l’Université de Neuchâtel.
Patrick Francioli, vice-président de Swissethics, explique que «les organisations qui disent représenter les patients ont, après la discussion d’octobre 2016, eu l’occasion de se manifester, et nous les avons entendues. Mais nous n’avons pas jugé efficace de reprendre tout le processus depuis le début.» Une version finale du formulaire a été arrêtée; elle est en consultation jusqu’au 31 mars 2017.
Du côté de l’ASSM, Daniel Scheidegger, son président depuis novembre 2016, calme le jeu: «Il n’y a eu aucune volonté d’écarter les organisations de patients. C’est aussi justement le rôle des commissions d’éthique de les protéger.» Il a donc été estimé que, en application de la loi, Swissethics pouvait évaluer la pertinence de ce consentement général. «Le rôle de ces commissions est de vérifier que le cadre légal est respecté» dans l’exécution des recherches, «mais pas de défendre les intérêts des patients», nuance Dominique Sprumont.
Enfin, remarque est aussi faite que l’implémentation pratique de ce formulaire de consentement, partout en Suisse, a été sous-estimée lors de cette consultation. Une tâche que souhaite prendre en charge la Swiss Biobanking Platform, organe appelé à coordonner toutes les biobanques dans le pays. «Nous souhaitons aussi développer une identité visuelle unique pour ce formulaire, et créer du matériel didactique vulgarisé (imprimés, site internet, etc.) pour le rendre compréhensible», dit sa directrice, Christine Currat.
«Notre objectif est surtout qu’il existe une première version de ce document de consentement national, quitte à ce que celui-ci soit ensuite amélioré, ceci afin que notre recherche clinique ne perde pas du terrain et que toutes ces biobanques puissent travailler de concert, tant la Suisse est trop petite sinon», résume Daniel Scheidegger, qui dit craindre que l’établissement d’une loi fédérale ne prenne trop de temps. «Une loi est trop lourde, estime lui aussi Patrick Francioli. Il doit être possible de s’en sortir autrement, avec une ordonnance par exemple.» «Il est dans l’intérêt de tous, chercheurs inclus, que les choses soient faites clairement, afin que les patients aient confiance en la manière dont leurs échantillons sont traités», insiste de son côté Rebecca Ruiz.