En médecine aussi, l’enfer est pavé de bonnes intentions. Lors de leur mise au point il y a vingt-cinq ans, les statines ont permis de prévenir, chez les patients à hauts risques, les problèmes cardiovasculaires graves. Or, l’effet de ces médicaments anti-cholestérol est-il éclatant au point de justifier qu’ils soient aujourd’hui prescrits presque aussi commodément que des bonbons? C’est qu’y recourir arrange bien du monde
L’industrie pharmaceutique d’abord, qui tenterait d’élargir à outrance leur spectre d’utilisation. Certains médecins aussi, qui succomberaient vite à la facilité de mettre sous statines leurs patients. Ces derniers enfin, qui s’accommodent parfois d’avaler un comprimé par jour plutôt que de changer de style de vie (nourriture, sport, etc).
Le cas des statines illustre bien l’évolution paradigmatique d’une médecine de plus en plus complexe, dans laquelle les savoirs sont de plus en plus difficiles à manier. Les études cliniques sont menées avec des paramètres très précis, qui rendent paradoxalement leurs conclusions de moins en moins généralisables. Malgré cela, on n’hésite pas à les extrapoler, comme avec les statines. Et les médias, pour qui la santé est un thème porteur, peinent à décrire en détail cette complexité. Ce qui rend plus épineuse encore la tâche du médecin: comment, par exemple, motiver un patient, chez qui il est quasi sûr de l’efficacité des statines, à continuer à prendre ses comprimés, quand ce patient lit ici ou voit là que ces médicaments sont controversés?
Mais n’en déplaise aux docteurs, l’ère du paternalisme médical est révolue. L’évolution est impossible à inverser: grâce à la mine d’infos qu’est Internet, et à l’avènement des outils de la médecine personnalisée (tests génétiques), les patients en viennent à prendre les commandes de leur propre démarche thérapeutique. Bientôt, peut-être, ils oseront questionner sans relâche leur médecin sur leur cas particulier, sur l’efficacité de tel médicament pour eux-mêmes. Des médecins qui seront amenés à expliciter, fonder, détailler leur décision, quitte à devoir approfondir leurs connaissances.
Or, à l’aube de cette redéfinition des rôles entre soignants et soignés, ces derniers se chargent aussi d’une responsabilité inédite: faire, en toute connaissance de cause, après en avoir parlé à leur médecin, le choix de leur thérapie. Et alors, l’assumer pleinement.
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