Un organe de l’OMS évalue le risque des champs électromagnétiques. Les opérateurs ne sont pas inquiets
Les ondes électromagnétiques à hautes fréquences, émises entre autres par les téléphones portables, doivent être considérées comme «peut-être cancérigènes pour l’homme». C’est la conclusion à laquelle est parvenue mardi soir un groupe de 31 experts de 14 pays, réunis depuis une semaine au Centre international de recherche sur le cancer à Lyon (Circ), qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Faut-il s’inquiéter? «La situation n’est pas plus grave que ce qu’on savait jusqu’à maintenant: on ne peut pas affirmer qu’il existe un lien sûr. Mais il peut y avoir un risque, il faut rester vigilant», résume Nicolas Gaudin, porte-parole du Circ.
Les experts ont passé en revue, pour la première fois, l’entier de la littérature scientifique (des centaines d’articles) existante sur ce sujet qui crée la polémique depuis des années. Y compris la fameuse étude Interphone, lancée en 1999 dans 13 pays, et qui concluait déjà que le risque n’est pas avéré mais pas exclu non plus. Après moult analyses, ce panel a fini par classer les champs électromagnétiques hautes fréquences dans le groupe dit «2B», soit au milieu de l’échelle de gravité des agents pouvant déclencher un cancer, qui compte cinq niveaux. Et le président de ce groupe de travail, Jonathan Samet, de justifier: «Nous avons fondé cette classification sur des études épidémiologiques montrant un risque accru de gliome (type de cancer du cerveau induisant des tumeurs malignes) lors de l’utilisation prolongée de téléphone sans fil»; en 2004, cette durée avait été estimée en moyenne à 30 minutes par jour durant 10 ans.
Depuis 1971, plus de 900 de ces agents cancérigènes physiques, chimiques et biologiques ont été évalués; 266 d’entre eux, les vapeurs d’essence inhalées et les pesticides par exemple, ont été classés «peut-être carcinogènes» (2B). Tandis que 107 (dont les radionucléides et le tabac) ont été considérés comme clairement «cancérigènes» (degré 1) et 59 comme «probablement cancérigènes» (2A), à l’image de l’acrylamide, une substance qui se forme lors de la cuisson (friture, rôtissage…) d’aliments riches en hydrates de carbone, comme les «chips». Selon Gérard Lasfargues, directeur général adjoint de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement, le classement était jusqu’à maintenant un cran en dessous (soit «inclassable quant à sa cancérogénicité pour l’homme», ou 3).
Pour Robert Baan, l’un des responsables de cette méta-analyse, l’association causale entre les champs électromagnétiques hautes fréquences et l’apparition d’un cancer «est possible, mais pas prouvée. Le classement dans la catégorie 2B donne donc un peu de souci, mais les ondes des portables sont loin d’être une cause avérée de cancer».
De son côté, Christian Neuhaus, porte-parole de Swisscom, estime «qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter outre mesure, puisque les ondes des portables sont inscrites dans la même catégorie que le café», effectivement lui aussi labélisé «2B» sur la liste du Circ, car ce breuvage a été soupçonné en 1991 de favoriser le cancer de la vessie. L’opérateur ne craint par conséquent aucun impact économique suite à cette annonce.
Devant certains résultats trop pauvres, aucune conclusion n’a par contre pu être tirée concernant des types de cancer autre que le gliome. La prudence des experts s’explique aussi par le fait qu’«à l’heure actuelle, la manière dont ces champs électromagnétiques interagissent avec la matière biologique n’est pas claire», a relevé Jonathan Samet.
Avant la réunion de ce groupe de travail, certains observateurs avaient critiqué sa méthode, affirmant que toutes les données, celles de l’étude Interphone notamment, n’avaient pas pu être consultées. «Nous avons eu accès à tous les résultats», a insisté Jonathan Samet, qui ajoute que son groupe n’a subi aucune influence externe.
Les chercheurs ont cependant reconnus qu’une des faiblesses de leur étude tenait au fait que les données prises en compte dataient de 2004 au mieux. Depuis, la technologie a changé, et les portables émettent moins d’ondes. Mais la baisse des coûts a induit une augmentation de la durée des appels. «Et cela notamment chez les jeunes utilisateurs», relève Nicolas Gaudin. Si bien que Christopher Wild, directeur du Circ, juge «crucial que des recherches complémentaires soient menées sur l’utilisation intensive, sur le long terme, des portables. En attendant, il est important de prendre des mesures pragmatiques», comme l’utilisation d’oreillettes et de haut-parleurs. Les scientifiques ont d’ailleurs rappelé que l’exposition aux champs électromagnétiques émis par un portable était, mesurés près de la tête, jusqu’à cinq ordres de grandeur plus importants que ceux des antennes-relais.
Et quelles recommandations adopter quant à la durée optimale des appels? «La tâche du groupe de travail était d’évaluer le risque, pas de le quantifier, dit Jonathan Samet. Il appartient à l’OMS de se pencher sur cette question, et de recommander d’éventuelles autres mesures.»