Le Soleil, en déviant les rayons cosmiques qui feraient naître des nuages, serait-il responsable des changements du climat? Au CERN, le projet CLOUD fait le point sur une idée très controversée. Pour les physiciens impliqués, il faut revoir les modèles utilisés pour simuler le climat!
Et si l’homme n’était pas seul responsable principal du réchauffement climatique actuel? Les mécanismes de ce phénomène sont de mieux en mieux compris par les scientifiques. Mais l’un d’eux les intrigue encore: quel rôle exact tiennent les aérosols? Ces particules en suspension dans l’atmosphère influencent la formation des nuages si cruciaux dans les échanges de chaleur entre la Terre et l’espace. Or selon une hypothèse, leur apparition dépendrait en partie… du Soleil. Ce qui ferait de l’astre un autre accusé notoire de l’accès de fièvre actuel de la Terre. Dans une étude très attendue publiée ce jeudi dans Nature , des physiciens du CERN montrent que l’étoile tiendrait plus un rôle de complice que de coupable majeur. Par contre, ils avancent une autre explication qui impliquerait de revoir les modèles utilisés pour simuler l’évolution du climat!
Les aérosols sont des corpuscules liquides ou solides, de taille nanométrique (milliardième de mètre). Eux-mêmes réfléchissent une partie de l’énergie solaire. Surtout, ils servent, une fois agglomérés, de noyaux de condensation aux molécules d’eau. Et ainsi les nuages de naître, qui font office de parasol refroidissant à basse altitude.
Mais d’où viennent ces aérosols? Certains sont issus de gaz polluants (comme l’acide sulfurique, dégradé du dioxyde de soufre SO2 émis lors des processus de combustion). D’autres sont d’origine naturelle, telles les microgouttelettes d’eau salée créées à la surface des océans.
Dans les années 1990, le scientifique danois Henrik Svensmark développe une hypothèse subtile: une partie des nuages s’expliquerait par l’arrivée sur Terre de rayons cosmiques, des noyaux d’atomes de haute énergie jaillissant de diverses sources de l’espace lointain; en percutant l’air, ceux-ci accroissent la formation des aérosols précurseurs de nébulosité.
Mais pour pénétrer dans l’atmosphère, ces rayons doivent traverser l’héliosphère, le bouclier magnétique généré par le Soleil autour du système solaire. Or cette carapace est d’autant plus hermétique que l’astre est actif. Ainsi, lorsqu’il atteint son maximum d’activité, peu de rayons cosmiques atteignent la Terre, moins de germes de condensation sont créés, donc moins de nuages, ce qui permet à davantage d’énergie solaire de chauffer la planète. Et l’inverse lorsque le Soleil se calme.
Svensmark croit tenir une explication solide, puisque les données du terrain la confirment: entre 1979 et 1992, l’activité solaire est à son apogée, la quantité de rayons cosmiques a baissé de 25%, et la couverture nuageuse de 3%. Restait à vérifier l’affaire expérimentalement. Le Danois s’y est essayé dans son laboratoire, mais c’est au CERN qu’un projet baptisé CLOUD, impliquant 18 institutions de neuf pays, a été lancé dans ce but.
Un immense cylindre de trois mètres de diamètre et cinq de haut simule un volume d’atmosphère: peuvent y être insufflés les différents gaz qui la composent (oxygène, vapeur d’eau, azote, ammoniac, SO2). «Notre installation est unique car elle nous permet de contrôler finement les quantités de ces gaz, la température (au centième de degré!) ou l’irradiation UV», dit Jasper Kirkby, responsable du projet. Et pour simuler l’action des rayons cosmiques, les physiciens dirigent sur leur réservoir un faisceau de particules issu d’un des accélérateurs du CERN. Résultats? «Dans une atmosphère reproduisant celle trouvée à basse altitude, les rayons cosmiques doublent le nombre de noyaux de condensation généré sinon naturellement. Et ils le décuplent lorsque l’on simule l’air à 5000 mètres d’altitude.»
«Ces données feront office de jalon, car les conditions expérimentales sont très fiables», souligne Jeffrey Pierce, de l’Université Dalhousie d’Halifax (Canada), expert du domaine. Avant d’en relativiser la signification: «Le fait de mesurer davantage d’aérosols ne signifie pas encore qu’il va se former plus de nuages. Car une large partie de ces noyaux de condensation ne grossit pas assez pour finir en gouttelette d’eau. En fait, pour une atmosphère contenant une quantité donnée de molécules d’eau, plus il y a de germes de nucléation, moins chacun d’eux va agréger d’eau autour de lui.» Jasper Kirkby le dit lui-même: «Ce processus de croissance des gouttelettes reste à évaluer.»
Un autre expert, Peter Adams de la Carnegie Mellon University de Pitsburgh (Etats-Unis), abonde: «Certes, l’intensité des rayons cosmiques incidents (et donc le Soleil qui les régule) a une influence sur la quantité d’aérosols générés. Mais cet effet semble mineur dans la formation des nuages.» Le spécialiste en veut pour preuve que la belle corrélation entre rayons cosmiques et couverture nuageuse observée entre 1979 et 1992 ne s’est pas maintenue durant les années qui ont suivi. De quoi disculper le Soleil dans le procès du réchauffement climatique.
«Ma crainte est que ces résultats soient surinterprétés par les sceptiques qui veulent trouver à tout prix un autre responsable que l’homme aux changements climatiques», reprend Peter Adams. Une surinterprétation contre laquelle Rolf Heuer, directeur du CERN, a invité Jasper Kirkby et son équipe à se tenir à l’interprétation des faits scientifiques, et à ne pas se livrer à des spéculations hâtives, afin de ne pas nourrir un débat déjà très politisé. «Je suis d’accord, dit l’intéressé. Nos résultats laissent ouverte la possibilité que les rayons cosmiques affectent le climat mais ils ne permettent pas à ce stade de conclure définitivement. C’est l’un des futurs objectifs de CLOUD.» Fin de l’histoire? Pas encore.
Car en faisant leurs manipulations, les physiciens du CERN ont observé qu’avec ou sans rayons cosmiques «artificiels», ils n’arrivaient l’un dans l’autre jamais à atteindre un taux de formation de noyaux de condensation similaire à celui observé dans la nature… «Ce taux était 10 à 1000 fois plus petit dans notre expérience, avec les gaz standards utilisés», dit Jasper Kirkby. «Ce qui veut dire que d’autres ingrédients chimiques présents dans l’atmosphère doivent aussi jouer un rôle dans la formation des aérosols. Nous avons trouvé des candidats, mais cela fera l’objet d’une future publication», se borne à dire le chercheur, avant de glisser qu’il s’agit de composés organiques, par exemple des molécules émises dans l’air par les arbres. «L’idée est séduisante, avise Jeffrey Pierce. Elle permettrait de vraiment mieux comprendre les mécanismes encore obscurs de nucléation à l’origine des nuages.»
Jasper Kirkby, lui, va plus loin: «Sur la base de ces résultats, il faut substantiellement revoir le traitement des aérosols dans les modèles de simulation climatiques développés empiriquement.» Car si toute cette hypothèse de l’influence des rayons cosmiques sur le climat est avérée de bout en bout, «on ne peut exclure qu’on soit en présence d’un nouveau forçage radiatif», soit un mécanisme contribuant au réchauffement de la Terre, qui n’est pour l’instant pas pris en compte dans le fameux rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
«Certains modèles dynamiques de circulation générale de l’atmosphère n’entrent pas à ce jour dans ces détails concernant les aérosols et reproduisent pourtant déjà bien l’évolution du climat passée, et probablement à venir, commente Thomas Peter, professeur à l’Institut des sciences de l’atmosphère et du climat de l’EPF de Zurich. Même s’ils le faisaient, l’image finale n’en serait que modérément modifiée. Cela dit, il faut profiter de toutes les occasions de remplacer toutes les incertitudes dans ces modèles par des bases physiques aussi solides que possibles. Dans ce sens, les résultats du projet CLOUD sont importants.»