L’entreprise américaine Planetary Resources veut aller prospecter les corps célestes au voisinage de la Terre pour en extraire des métaux ou de l’eau. Idée réaliste? Ou belle opération de communication?
Les nouveaux gisements de matières premières ne se trouvent plus sur Terre, mais dans le ciel… Plus exactement dans les astéroïdes. C’est ce qu’estime une nouvelle entreprise américaine, Planetary Resources, qui a présenté le 24 avril ses plans pour aller exploiter les matériaux se trouvant sur ces astres, comme l’eau ou des métaux tels que le fer, le palladium ou le platine. «Ces matériaux se trouvent en quantité quasi illimitée dans l’espace», dit le cofondateur Peter Diamandis.
Déjà connu pour ses initiatives dans le spatial privé, ce visionnaire confiait récemment au Temps que, pour lui, «ouvrir la frontière de l’espace à tous est un impératif moral!» (LT du 12.1.2012). Voilà donc qu’après le tourisme spatial, il envisage l’exploitation commerciale des ressources spatiales: «En pourvoyant la Terre avec ces dernières, nous allons établir une stabilité sur la planète, augmenter la prospérité de l’humanité, et développer une présence humaine dans l’espace.»
L’homme est aussi connu pour bien sentir le sens du vent. Cette annonce tombe d’ailleurs à un moment propice, puisque l’Agence spatiale américaine a fait de la visite d’un astéroïde l’un de ses prochains objectifs; ses ingénieurs dessinent les plans de la mission OSIRIS-REx qui, dès 2019, devrait se poser sur l’astéroïde 1999RG36, et en ramener sur Terre 60 g d’échantillons. Et la semaine dernière, la NASA a lancé son programme «Target Asteroids!», demandant aux astronomes amateurs de l’aider à repérer et mieux caractériser les fameux NEO (pour Near-Earth Objects, ou «objets proches de la Terre»).
Outre les millions d’astéroïdes de la ceinture du même nom, située entre Mars et Jupiter, il y aurait, selon les estimations, environ 9000 «gros cailloux» de plus 50 m de diamètres en orbite au voisinage de notre planète, et de composition variable, comme l’ont montré les fragments qui sont tombés sur la Terre.
«Un astéroïde de 500 m de long pourrait renfermer une quantité de platine équivalente à la totalité de ce métal extrait dans l’histoire de l’humanité», dit Peter Diamandis; le platine, très prisé en joaillerie et en électronique, vaut actuellement 1500 dollars l’once (28,3 g). D’autres astres pourraient contenir de grosses quantités d’eau gelée, jusqu’à 20% de leur masse. Selon l’entrepreneur, 1500 de ces astéroïdes seraient aussi, voire plus faciles à atteindre, énergétiquement parlant, que la Lune.
Comment Planetary Resources va-t-elle procéder? A Seattle, ses ingénieurs ont présenté leurs plans pour les premières étapes: d’abord lancer, dans les deux ans, plusieurs petits télescopes spatiaux de quelques millions de dollars, dont le rôle serait de repérer les objets-cibles les plus prometteurs. Puis placer dans l’espace, d’ici à sept ans, une flottille d’engins prospecteurs, équipés d’instruments de haute technicité et ayant pour tâche d’identifier à distance les ressources en présence.
Les spécialistes s’accordent à dire que ces deux phases sont loin d’être irréalisables, avec un budget de 25 à 30 millions. Plusieurs missions ont déjà été lancées dans le but d’ausculter des astéroïdes sous toutes leurs fissures. Le 25 avril, la NASA révélait ainsi les dernières découvertes de la sonde Dawn qui observe le géant Vesta, révélant la nature et la structure de ses couches rocheuses.
C’est ensuite que les choses se corsent. Car se poser sur un petit astéroïde n’est pas si simple. Une sonde se posant trop vite sur lui rebondirait, car elle ne pourrait être retenue par la très faible force de gravité générée par l’astre. Les techniques d’approche doivent donc être extrêmement fines. A ce jour, seule la sonde japonaise Hayabusa est parvenue en 2010 – avec difficulté – à grappiller quelques échantillons de l’astéroïde Itokawa, qu’elle a ramenés sur Terre. Et encore, il ne s’agissait que de poussières…
C’est là l’autre problème: les questions de poids. Les robots mineurs envoyés sur ces astéroïdes ne pourraient au mieux en rapporter que quelques dizaines de fois leur propre masse en matériaux extraits, en tenant compte de toutes les contraintes qu’implique un tel retour, notamment la toujours périlleuse rentrée dans l’atmosphère terrestre d’un vaisseau spatial. Or, sur la plupart des astéroïdes, une tonne de matériau contiendrait au mieux quelques dizaines de grammes de platine, selon les scientifiques. Les quantités de matière brute récoltées ne suffiraient alors probablement pas, après extraction sur Terre des précieux métaux, à rembourser les coûts de lancement.
«Aller faire de la prospection minière sur d’autres astres, pourquoi pas? Mais cela ne se fera pas avant de très nombreuses années, dit Xavier Pasco, spécialiste de l’espace à la Fondation pour la recherche stratégique, à Paris. Le rapport coût-bénéfice de ce type d’idées reste au cÅ“ur de vives discussions.» Or, à toutes ces questions, les initiateurs de Planetary Resources n’apportent pour l’heure aucune réponse, la technologie idoine restant à développer.
Une autre idée souvent évoquée serait d’exploiter l’eau lovée dans les astéroïdes comme ressource pour les futurs et longs voyages spatiaux. Que ce soit comme boisson ou surtout comme carburant, après avoir dissocié l’oxygène et l’hydrogène composant sa molécule H2O; l’oxygène peut bien sûr aussi servir de gaz à respirer. Et là, plus besoin de ramener d’abord sur Terre ce liquide: les astéroïdes serviraient alors de «station-service» dans l’espace, permettant aux astronautes d’y vivre en permanence. Dès lors, l’idée serait plutôt de trouver un moyen d’aller chercher un tel astre «aqueux» et de le placer sur une orbite très proche de la Terre.
Aussi farfelue soit-elle, cette vision semble bien réalisable. C’est l’avis d’experts du Keck Institute for Space Studies, du California Institute of Technology et de la NASA, publié le 2 avril. Leur étude chiffre à 2,6 milliards de dollars le développement technologique nécessaire à aller chercher, vers 2025, un astéroïde de 500 tonnes et 7 m de diamètre, et de l’installer sur une orbite lunaire, explique l’un de ses auteurs, John Brophy, au site Space.com.
Tous ces projets d’exploitation minière d’astéroïdes ne sont pas les premiers. L’idée date même d’il y a plus d’un siècle, proposée en 1903 par le scientifique russe Constantin Tsiolkovsky. Depuis, une demi-douzaine de sociétés ont fait la même proposition, rappelle dans le New York Times John Lewis, professeur émérite à l’Université d’Arizona et auteur du livre Mining the Sky Sans concrétisation ou résultats.
«Nous parlons de quelque chose d’extraordinairement difficile, admet Peter Diamandis. Mais c’est faisable et comparable – si l’on tient compte de la taille de l’astéroïde cible, des objectifs et du degré de difficulté – aux forages pétroliers profonds en haute mer.» Car profondes, les poches de Planetary Resources le sont aussi: le projet est soutenu entre autres par les milliardaires Larry Page et Eric Schmidt, fondateurs de Google, par Charles Simonyi, ancien chef chez Microsoft, ou encore par le réalisateur James Cameron.
La NASA, elle, applaudit: «Ce projet s’inscrit bien dans notre politique spatiale, indique le porte-parole David Weaver. La NASA reste en tête de l’effort de recherche, mais va certainement tirer profit des ressources et savoirs du secteur privé.» Pour Xavier Pasco, ce soutien n’est pas une surprise, mais bien «une preuve de plus de la refonte globale de l’approche américaine: l’Agence spatiale, sans but aujourd’hui, se cherche. Et n’hésite pas à faire largement appel aux entrepreneurs à idées pour lui ouvrir la voie.»