L’aventurier vaudois Raphaël Domjan, auteur de la première circumnavigation en bateau solaire en 2012 à bord du Planet Solar, se lance un nouveau défi: battre le record d’altitude atteinte avec le premier biplace solaire, et tenter d’attendre 24 km. Au-delà de l’exploit, il souhaite aussi ouvrir un marché pour les avions solaires commerciaux
Après avoir achevé, en 2012, la première circumnavigation en bateau solaire à bord du PlanetSolar, l’aventurier vaudois Raphaël Domjan a levé les yeux au ciel pour un nouveau défi, prévu en 2017: s’approcher de l’espace à bord d’un biplace solaire, à 24 km d’altitude, ce qui serait un record pour un tel aéroplane habité – le Solar Impulse de Bertrand Piccard est monté à 9235 mètres, tandis que le drone Helios de la NASA a grimpé à 29 524 mètres.
«L’idée est de revivre le rêve d’Icare, sans se brûler les ailes, rigole-t-il. C’est-à-dire pousser au maximum les capacités de l’engin» de 20 m d’envergure pour 350 kg, couvert de cellules solaires (24% d’efficacité, promet-on) alimentant un moteur électrique (de 13,5 kW). Si haut, l’air est rare, ce qui aura des effets sur le comportement de l’avion. «Mais comme le moteur est électrique, ne consommant donc pas d’air comme les réacteurs à combustion, il ne perd rien en performance.» «Pour atteindre cette altitude, l’hélice devra forcément avoir une structure inédite», analyse l’astronaute Claude Nicollier, qui n’est pas membre du projet. Et Raphaël Domjan de reprendre: «Les cellules photovoltaïques fonctionnent mieux à haute altitude à cause du froid et de la faible densité de l’atmosphère: nous bénéficierons ainsi de 40% d’énergie en plus.»
Le froid, justement: –70°C! Si les effets sur l’engin devront encore être étudiés en laboratoire, ceux sur l’homme sont connus… C’est pourquoi le pilote devra porter une combinaison similaire à celle des astronautes. Pour la développer, l’équipe a fait appel à Michael Lopez-Alegria, ancien astronaute de la NASA. «Ce scaphandre devra être léger, 30 kg, et fournir de la chaleur et de l’oxygène.» Il empêchera aussi le pilote de porter un parachute et de s’extraire du cockpit: «En cas de pépin, il faudra qu’il redescende vite avec l’avion, d’autant qu’on ignore jusqu’où celui-ci pourra grimper». «Il y aura un risque, admet Raphaël Domjan. Mais qu’est une aventure sans risque?»
Pour financer son projet, à hauteur totale de 6 à 8 millions de francs, le Vaudois va se mettre en quête de sponsors. D’ici là, il a mis en vente (pour 50 000 francs) le deuxième siège de son biplace solaire pour ceux qui, dès 2016, voudraient découvrir la Terre lors d’une balade à 10 km d’altitude seulement: «Quelques personnes ont déjà signé.»
L’aventurier ne s’en cache pas: outre le record d’altitude, il ambitionne aussi d’ouvrir un pan commercial au vol solaire. En emmenant des gens à bord, mais aussi en promouvant la vente d’avions solaires, «ceci dans un souci d’écologie».
Y a-t-il un marché? Calin Gologan, de la société allemande PC-Aero GmbH qui construira l’avion, en est persuadé: «Les gens doutent du fait que c’est possible de construire des avions solaires concurrentiels avec les composants actuels, mais ça l’est.» Pour preuve, le monoplace solaire sur lequel s’entraînera Raphaël Domjan est en voie d’homologation. Les prix? «100 000 euros pour ce dernier, et 150 000 pour la version biplace. Mais il est clair qu’on doit créer ce marché, indique Calin Gologan. Cela dit, avec les économies de carburants faites en quinze ans par rapport à un avion à turbines, on peut compenser le prix de l’avion solaire.»
Pour Olivier de Sybourg, chef du domaine de l’aviation au Service d’enquête suisse sur les accidents (SESA), «il peut y avoir un marché de niche. Mais vu les conditions extrêmes dans lesquelles ce genre d’avion évoluera, son entretien sera ardu.» Un consultant en aéronautique contacté par Le Temps, François Clavadetscher, «émet un doute sur la faisabilité du projet»; un autre, Pierre Condom, pense que l’«idée n’est pas totalement absurde, mais que les prix affichés seront difficiles à respecter». Pour les initiateurs, la baisse du coût des batteries – «probablement de moitié d’ici à cinq ans» – va les aider à tenir leur promesse. Enfin, Claude Nicollier estime que «toute initiative de ce genre est a priori intéressante». Il «doute qu’il y ait une grosse demande pour les vols passagers à 10 km», mais admet que «si des recherches débouchent sur des avancées technologiques, concernant le poids des combinaisons par exemple, l’aventure en vaut le coup». Et de souligner qu’«une étude globale de ce marché reste à faire».
Raphaël Domjan, lui, «ambitionne déjà de développer une aviation commerciale à 30 km d’altitude. Le photovoltaïque ne suffisant plus à la propulsion, l’idée sera d’y adjoindre des cellules à combustibles pour faire voler plusieurs passagers à la fois.» Musique d’avenir, dès 2020.
Reste une question: ce projet nommé SolarStratos, dans la quête de sponsors comme dans sa présentation au public, n’aura-t-il pas un goût de «déjà-vu» par rapport à Solar Impulse? Raphaël Domjan: «En Suisse peut-être, mais notre projet est de portée mondiale. Il faut occuper le terrain.» «Dans le domaine des drones solaires, il y a un potentiel pour l’observation de la Terre», ajoute Calin Gologan. «Avec l’équipe de Solar Impulse, nous n’excluons pas des synergies une fois qu’elle aura accompli son tour du monde en avion solaire en 2015», reprend l’aventurier vaudois.
Chez Solar Impulse, craint-on que la communication autour du projet SolarStratos, qui joue aussi sur l’aspect écologique des vols solaires, ne parasite la leur? «Non, je ne crois pas, dit Alexandra Gindroz, porte-parole. Il y a de la place pour les deux.» Quant à Bertrand Piccard, il n’a pas souhaité parler de ce projet avec Le Temps, lui faisant transmettre cette citation: «L’énergie solaire permet d’accomplir des choses incroyables. Les grands exploits du futur seront effectués sans énergies fossiles. Solar Impulse et Planet Solar ont déjà montré l’exemple. Je suis heureux que mon ami Raphaël continue dans cette voie. Le monde en a besoin.»