Des médecins sont parvenus à rétablir, chez des bébés nés par césarienne, une flore intestinale similaire à celle des nourrissons nés par voie basse. La manipulation éviterait le développement ultérieur de maladies associées à ce type d’accouchement
Nous sommes tous égaux, lorsque l’on naît et lorsque l’on meurt, dit-on. Vraiment? Pour ce qui est du premier acte du dicton, il est pourtant établi que venir au monde par césarienne plutôt que par voie naturelle induit des changements dans la flore intestinale du nouveau-né. Des modifications qui peuvent avoir des impacts plus ou moins marqués sur sa santé durant toute sa vie.
Des chercheurs américains viennent cependant de montrer qu’il est possible d’annihiler quasi complètement ce préjudice, simplement en présentant au bébé, juste après la césarienne, des tissus imbibés de la flore bactérienne interne de sa mère. Cette étude, parue lundi dans la revue scientifique Nature Medicine, «va faire l’objet de discussions nourries dans les maternités», commente d’emblée Jacques Schrenzel, chef du laboratoire de bactériologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Depuis quelques années, les pays occidentaux observent en effet une augmentation du nombre de naissances par césarienne, certaines justifiées par des raisons médicales, mais la plupart explicables par le confort qu’elles offrent dans la préparation de l’heureux moment. En Suisse, environ un tiers des quelque 80 000 bébés naissant chaque année viennent au monde après ce qui reste un acte chirurgical. Une intervention certes devenue sûre, et banalisée au fil des ans, mais qui comporte diverses conséquences à ne pas sous-estimer: de plus en plus d’études mettent en évidence un lien entre les naissances par césarienne et l’apparition possible de maladies comme le diabète de type 1, l’obésité, les troubles digestifs ou respiratoires, des allergies.
La raison? Elle semble être à chercher du côté du microbiote, cet ensemble de milliards de bactéries qu’un individu héberge sur sa peau, dans sa bouche et surtout dans son système digestif. Les recherches autour du microbiote intestinal humain (anciennement nommé «flore intestinale») sont en plein essor, tant il apparaît qu’il joue un rôle dans la digestion, le système immunitaire, le métabolisme en général et, plus particulièrement, même celui du cerveau.
Or lors d’un accouchement par voie basse, le nourrisson ingère les bactéries présentes dans le vagin de sa mère. Ces unicellulaires (surtout dits bifidobactéries et bactéroïdes) ont ensuite un effet protecteur sur le système immunitaire du bébé, et créent aussi un terrain favorable pour la colonisation à long terme de son propre tube digestif par des bactéries utiles à son métabolisme. A l’inverse, le poupon extrait chirurgicalement du ventre maternel n’entre pas en contact avec ces souches de bactéries, mais plutôt avec celles vivant sur la peau de sa maman. En l’absence de ces espèces commensales que sont les bifidobactéries et bactéroïdes, ces nouveau-nés seraient alors plus sensibles à la colonisation par des espèces pathogènes souvent associées à des risques d’asthme, d’allergies, ou de diarrhées.
Première étude du genre
«Est-il possible de restaurer, chez un bébé né par césarienne, le microbiote qu’il aurait acquis s’il était né par voie normale? C’est la question que nous nous sommes posée», explique Maria Dominguez-Bello, professeure associée au Langone Medical Center de l’Université de New York, et première auteure de l’étude. Avec son équipe, la chercheuse y a impliqué 18 enfants. Sept sont venus au monde normalement, et onze par césarienne. Parmi ces derniers, quatre ont été exposés, dans leurs deux premières minutes de vie, au microbiote interne de leur mère: les scientifiques ont fait incuber des bandes de gaze stériles dans le vagin de celle-ci une heure avant l’intervention, puis les ont mis en contact avec la bouche et la peau du bébé.
A suivi une vaste opération de collectes de plus de 1500 échantillons chez les 18 individus participants à l’étude et leur maman, durant un mois, puis une analyse génomique et statistique de plus de 6,5 millions de bribes d’ADN bactérien. Résultat, résumé par Maria Dominguez-Bello: les groupes bactériens relevés étaient largement plus similaires entre les sept bébés nés par voie basse et les quatre nés par césarienne puis exposés aux tissus imbibés du microbiote de leur mère, qu’entre les premiers et les poupons nés par césarienne mais non exposés. «Notre étude est la première à démontrer une restauration microbiotique partielle chez des bébés nés par césarienne», ajoute Jose Clemente, de l’Icahn School of Medicine au Mount Sinai Hospital, et coauteur de ces travaux.
Ceux-ci font l’objet d’un commentaire dans la même revue. Son auteur, Alexander Khoruts, du département de médecine à l’Université du Minnesota à Minneapolis, explique que «cette étude est un premier pas important», mais en relève les limites, notamment parce que le «nombre de patients impliqués dans le groupe exposé est petit, que des prises d’échantillons font défaut à certains moments de l’expérience, que celle-ci n’a duré qu’un mois, que des antibiotiques ont été prescrits à toutes les mamans ayant accouché par césarienne et pas aux autres, et que les bébés ayant pris part à l’étude n’ont pas été randomisés», autrement dit que les chercheurs n’avaient – évidemment – pas en mains tous les paramètres pour les faire naître d’une manière ou d’une autre, ce choix revenant à leur mère. De manière compréhensible, «la difficulté principale dans l’interprétation d’étude interventionnelle de ce genre est la non-équivalence des populations de départ», résume l’expert.
De son côté, Jacques Schrenzel estime que «même si le nombre de sujets est effectivement petit, cette étude montre avec un protocole bien fait et des données solides que le transfert de microbiote est efficace. Si elle ne me surprend pas beaucoup – car l’on savait que divers chercheurs tentaient de le faire –, c’est une avancée majeure.»
Lors d’une conférence de presse téléphonique, les auteurs ont admis ces critiques sans ambages, mais ont souligné les différences significatives entre les microbiotes des deux groupes de sujets nés par césarienne. «Ces travaux exploratoires sont une preuve de principe que notre méthode mérite d’être développée plus à fond afin de déterminer les impacts réels sur la santé de telles différences de microbiotes. C’est, avant tout, cela que nous voulions publier», dit Maria Dominguez-Bello. La chercheuse indique d’ores et déjà suivre 84 enfants, aux Etats-Unis et à Puerto Rico, dans le cadre de recherches à plus longue échéance. Une telle étude de cohorte de longue durée est incontournable, souligne Jacques Schrenzel. Et le chercheur de faire remarquer qu’il sera alors crucial d’accumuler assez d’échantillons et d’analyses pour, lors de la comparaison de microbiotes, permettre d’exclure l’influence d’autres variables, tels la prise d’antibiotiques par le bébé ou le fait que celui-ci ait été nourri au sein ou non.
Recommandations médicales
A ce stade, les chercheurs américains ne s’aventurent d’ailleurs pas à faire des recommandations d’ordre médical ou de santé publique. «Cela dit, à la suite de cette étude pionnière, les obstétriciens vont probablement être confrontés à cette problématique», analyse Jacques Schrenzel. Et vu les affections que cette méthode accessible permettrait d’éviter, «ils vont peut-être recevoir des demandes de femmes accouchant par césarienne et souhaitant y avoir recours. Auront-ils l’interdiction de le faire? Je n’en suis pas sûr», conclut le médecin, qui imagine plutôt que de telles demandes soient acceptées dans le cadre d’études contrôlées. Sa collègue Begoña Martinez de Tejada, responsable de l’unité d’obstétrique à haut risque des HUG, voit un autre problème: «Avant de mettre artificiellement le nouveau-né en contact avec le microbiote vaginal de la mère, il s’agira d’évaluer les possibles dommages collatéraux, comme la transmission par la mère de maladies sexuellement transmissibles», qu’il faudra dépister en amont.